La visée en couleur : les lunettes Pilla

mercredi 23 avril 2014
par  _Jean-Eric_
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#Introduction

Récemment, la société Pilla (sur facebook ou encore ici) spécialisée dans la fabrication de lunettes dédiées au sport a fait parler d’elle dans le monde du Tir à l’Arc. Plusieurs archers dont quelques uns de l’équipe de France d’arc à poulies contactés par la société ont participé à des essais depuis fin 2013. En particulier Pierre-Julien Deloche a écrit un article (celui-là) donnant l’historique de sa relation avec la compagnie de Ridgefield dans le Connecticut.

Sans plagier le travail de PJD, je vais vous donner quelques éléments sur la vision d’un œil humain standard et vous donnez dans mon cas comment une correction très prononcée peut être intégrée harmonieusement aux lunettes Pilla.

Une chose certaine est que la vision avec la proprioception (ex. les pieds) et le système vestibulaire (ex. l’oreille interne) fait partie des contrôles de posture. Elle est même le plus fondamental acteur dans ce trio. Donc tout ce qui peut améliorer le confort visuel a un impact positif sur la posture et le maintient en équilibre lors de la visée. A contrario, tout ce qui entrave une bonne vision doit être compensé volontairement ou involontairement. Dans mon cas n’ayant qu’une vision monoculaire cela explique mon intérêt pour ces lunettes.

#La vision des couleurs

La vision d’un objet se forme dans l’œil par la transformation de la lumière en signal électrique au niveau de la rétine qui est une partie de notre cortex cérébral (partie superficielle du cerveau).

Figure 1 Schéma interne de l’œil (source Wikipédia)

Les photorécepteurs transmettent le signal nerveux qui emprunte les fibres des neurones ganglionnaires réunis en nerf optique pour atteindre les zones spécifiques du cerveau. Sans rentrer dans un luxe de détails je vais qu’en même donner quelques informations qui nous intéressent ici.

En premier lieu observons les schémas des photorécepteurs dont on connait deux types : les bâtonnets et les cônes (esquimaux, caramels, chocolats… non ce ne sont pas des glaces !).

Figure 2 Schéma des photorécepteurs (source http://lecerveau.mcgill.ca)

Les bâtonnets sont extrêmement sensibles à la lumière et environ 1000 fois plus sensibles que les cônes. Donc en lumière forte (ex. soleil) se sont les cônes qui sont les plus actifs tandis que si l’intensité lumineuse décroît ou devient faible (ex. tombée de la nuit, temps couvert, lumière de salle) se sont les bâtonnets qui prennent la relève.

En fait, le signal lumineux est transformé en signal électrique à la suite d’un enchaînement de processus chimiques dont la base est la brisure d’une protéine, l’opsine, dont la vitamine A (béta-carotène) sert à la synthèse. Or, le stock de cette protéine n’est pas infini et donc il faut un temps d’adaptation au passage forte-faible lumière. Il y a même 2 paliers : l’un atteint au bout de 6 à 7 minutes correspond à la vision par les cônes, puis un second plus long d’environ 20 à 30 minutes correspondant à la vision par les bâtonnets. A l’inverse, passer de la faible à la forte luminosité se fait plus rapidement. Moralité : une fois que l’on a des lunettes de soleil sur le nez faut pas les quitter.

Figure 3 Courbe d’adaptation à l’obscurité. La partie hachurée représente 80% des individus. (Source http://webvision.med.utah.edu/book/part-viii-gabac-receptors/light-and-dark-adaptation/)

Maintenant, alors qu’ils ne représentent que 5% des photorécepteurs, seuls les cônes sont pourvus de récepteurs de couleur sous forme de trois variétés d’opsine qui se distinguent par leurs spectres d’absorption différents. On distingue donc des cônes bleu sensibles à des longueurs d’onde proches de 420nm, des cônes vert (530nm) et rouge (560nm).

Figure 4 Les 4 spectres d’absorption : les trois colorés des cônes, la courbe noire pour les bâtonnets. (source wikipédia). Unité en nm pour les longueurs d’onde.

Un objet coloré excite donc à différent degré les 3 types de cônes et c’est cela qu’interprète le cerveau par l’intermédiaire des neurones ganglionnaires. Il y en a de plusieurs types dont ceux du type-P sensibles à la couleur. En fait ces neurones ont une sensibilité à a une couleur au centre et à sa complémentaire à la périphérie. On trouve les couples (centre-périphérie) suivants : rouge-vert, bleu-[fond bleu]jaune[/bleu] (ici le jaune est « fabriqué » par des cônes rouge et vert). Les neurones de type M ne participent pas à la perception de la couleur.

Figure 5 Neurones ganglionnaires. Il y a en a de type M, de type P et même des non-P-non-M. Seuls les types P et dans une moindre mesure les non-P-non-M sont sensibles à la couleur.

Enfin, la répartition des bâtonnets et des cônes n’est pas uniforme sur la rétine comme le montre le graphique suivant.

Figure 6 Répartition des cônes (en bleu) et des bâtonnets (en noir) par rapport à la fovéa (macula). Les pointillés marquent la zone aveugle correspondant au nerf optique.

Les cônes sont concentrés au point de meilleur acuité visuelle, la fovéa au centre de la macula, une zone d’environ 2mm de diamètre. Ainsi on comprend pourquoi il y a moins de récepteurs « coniques » et pourquoi dans l’obscurité on a une vision périphérique de moins bonne qualité.

Maintenant, imaginons une atmosphère de plein air dont la luminosité diminue progressivement, alors d’après ce que l’on a vu (gag !), la vision des bâtonnets va prendre en charge une partie de plus en plus importante. Or cette dernière est plutôt « neutre » en terme de distinction des couleurs (voire tirant sur le bleu) et périphérique avec une moins bonne acuité visuelle. Une fois que l’on porte des verres colorés (dans le jaune/brun) tout d’abord tout semble teinté de la couleur des lentilles. Mais après quelques temps on ne remarque plus cette couleur. Nos yeux ont subi une autre forme d’adaptation, l’adaptation chromatique. L’opsine va continuer à être secrétée et la vision centrale privilégiée ! D’où l’intérêt des lunettes teintées pour le TAA.

#Les lunettes Pilla

A la suite de réflexion du type que celles que j’ai exposées dans la section précédente, je me suis intéressée aux lunettes de sport avec filtres colorés. J’ai d’abord consulté par exemple ce site de vente en ligne ou j’ai directement contacté ESSILOR qui propose une gamme de lunettes de sport. J’avoue avoir été très déçu par l’accueil « anti-commercial » quand j’exposais à la fois mes besoins de corrections optiques fortes (j’y reviens plus bas) et d’utiliser des filtres colorés pour le TAA.

Ces déboires contrastent fortement avec l’accueil enthousiaste de Pilla Shades (page facebook) et de Luke Milbury qui m’a guidé de bout en bout et Pierre-Julien qui m’a aussi aidé à sauter le pas. Car dans mon cas il faut réaliser une correction de vision de loin de -10 dioptrie donc usage de verre à fort index de réfraction ! Cela a donné du fil à retordre lors de la fabrication mais le résultat est parfait. Je n’ai eu à fournir que l’ordonnance de prescription (Luke Milbury parle français !) et une photo de mes yeux avec une règle au dessus pour pouvoir centrer le foyer optique. Après un délai de 20 jours dus essentiellement la fabrication des verres correcteurs, j’ai reçu mon paquet via DHL.

Figure 7 Le coffret de transport

Figure 8 Le set comprenant : les branches amovibles carbone, les 2 filtres (42ED-Enhanced Definition à gauche et 78HC-High Contrast à droite) montés sur le format Outlaw X2 avec des appuis nez et l’insert transparent comprenant les verres correcteurs.

J’ai choisi un modèle Outlaw X2 (haut de gamme) pour avoir un confort maximal « immersif » (c’est bleuffant !) qui plus est ayant des verres correcteurs épais donc lourds, je dispose de petits appuis comme des lunettes ordinaires, c’est très confortable malgré la surcharge de poids. Bien entendu, j’aurai très bien pu opter pour une lentille de contact correctrice pour mon bon œil et donc me passer de l’insert portant les verres correcteurs. Mais dans mon cas, l’ophtalmo n’a pas voulu me voir porter sur mon unique œil une lentille qui peut entrainer une irritation de la cornée…

Une fois l’insert en place, voilà ce que cela donne

Figure 9 Vue de la paire de lunettes munie du filtre 42ED et de l’insert avec les verres correcteurs.

Et sur le nez, on ne voit quasiment pas l’insert transparent.

Figure 10 Un homme heureux !

La conception des filtres élaborée par la société ZEISS est un gage de qualité. Ce sont des filtres multicouches passe-haut typiquement (c’est-à-dire qu’ils ne laissent passer que la lumière de longueur d’onde supérieure à un seuil) incluant des couches antibuée et de résistance. Dans le cas spécifique pour l’archerie, on dispose de trois filtres (je n’ai pris que les 2 premiers pour le moment) :

  • 78 HC (High Contrast/Fort contraste) : 78% de transmission, conditions de Ciel couvert ou de faible lumière. Parfait dans le cas de lumière grisâtre.
  • 42 ED (Enhanced Definition/definition améliorée) : 42% de transmission, conditions de temps couvert.
  • 22 ED : 22% de transmission, conditions d’ensoleillement intense. De véritables lunettes de soleil.

Pour le moment, en condition de tir j’ai utilisé le 42ED car les conditions météo s’y prêtaient bien. Les branches s’insèrent autour de la tête parfaitement et peuvent se mettre sous ou sur une casquette (je les mets dessous ce qui renforce le maintien).

Figure 11 Détail du maintien des lunettes par les branches (en carbone) incurvées. Il est clair que la légèreté des branches dans mon cas est un peu superflue car l’insert avec les verres correcteurs alourdi à l’avant.

La partie supérieure du contour des lunettes légèrement décollé du front permet une aération parfaite même si les trous d’aération sont utilisés pour la fixation de l’insert. La grande dimension des filtres alliée à la forme incurvée des lunettes et la transparence de l’insert permet une réelle immersion avec un effet « bulle » très impressionnant. Par rapport à mes anciennes lunettes de soleil avec correction il n’y a pas photo comme on dit.

Figure 12 Comparaison en terme de taille des lunettes Pilla et de simple lunettes de Soleil (même correctrice)

#Résumé

Dans cet article, je vous ai brossé rapidement les mécanismes physiologiques de la vision et ce que peut apporter les verres teintés pour le TAA. Comme je l’ai dit la société Pilla a des atouts certains surtout que la concurrence n’est pas à la hauteur au moins commercialement. Pour aborder un point qui peut faire reculer plus d’un, le set que j’ai fait faire se monte à environ 650€ dont le tiers pour la confection de mes verres correcteurs. Si on compare avec des lunettes standards correctrices le prix est tout à fait acceptable. A titre indicatif les verres progressifs que j’ai sur le nez pour écrire cet article me coûtent le double. Après une après-midi de tir, il faut dire que j’ai été très impressionné par le coté immersif et qu’il faut s’y habituer. Cela m’a changé ma vision durant la visée : je vois net mon point de visée et bien contrasté la cible... A suivre.

Je remercie tout particulièrement Luke Milbury pour son accueil chaleureux et les nombreux échangent que nous avons eu.


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