#Introduction
Cet article a été motivé par celui de Pierre Julien Deloche sur les jumelles de la marque MINOX.
Son article est bien fait avec un exemple concret d’utilisation et des remarques pertinentes. Un brun tatillon, j’ai voulu pour moi-même aller un peu plus loin et je vous livre mes investigations personnelles. Cependant, je ne prêtant pas couvrir tous les aspects, et par exemple le lecteur peut aller consulter le site EDEN Webshop fort détaillé.
#Critères de choix
Avant de choisir sa paire de jumelles et/ou sa longue vue il convient de définir ses besoins. Même si on peut avoir en tête le fait que notre discipline partage a priori les critères retenus dans d’autres contextes sportifs ou non, mieux vaut s’y pencher pour se les approprier. D’une manière général, je ne parle dans la suite que des critères concernant l’archer (cf. pas les spectateurs ni le coach).
On veut un instrument de maniement facile qui permettent d’apprécier rapidement et confortablement où sont ses propres flèches et juger les cordons accessoirement. C’est assez vague et il est intéressant de s’apercevoir qu’après une réflexion rapide, il convient peut-être de discuter les cas de figure suivants séparément :
- tir en salle 18m : condition d’éclairage relativement stable mais moindre qu’en extérieur bien qu’en cas de Soleil, les grandes baies vitrées des gymnases peuvent faire varier la luminosité relative au cours d’un concours. On n’a pas à se soucier de la météo sauf pour d’autres aspects qui ne touche pas à l’optique (hi ! hi !). On privilégie dans ce cas de figure l’usage d’une paire de jumelles.
- tir en extérieur type FITA Classique/Poulies, Fédéral : par exemple les tirs à 30m, 50m, 70m, 90m ; les conditions météo sont variables, l’éclairage également au cours de la journée même si en général on a une luminosité plus forte qu’en intérieur. Ici on discute de la possibilité d’utiliser une paire de jumelles ou d’une longue vue.
- tir de parcours type Campagne, Nature, 3D : de distances variables (généralement < 50m) ; les conditions météo et d’éclairage également sont variables comme précédemment, auxquels il convient de tenir compte que les conditions changent du fait de l’exposition des cibles le long du parcours ; enfin l’archer tient compte qu’il doit se déplacer avec son arc et son carquois certes mais également avec toute l’intendance (siège, ravitaillement…) en plus de sa paire de jumelles.
Il y a une multitude de critères qui vont faire varier la qualité et le prix de nos paires de jumelles ou longues vue, il y a : le grossissement, le diamètre d’objectif, la pupille de sortie, la luminosité, le champ de vision, la netteté des bords, le traitement de la surface de l’optique, les carcasses, l’étanchéité, la taille, le poids, la mise au point, etc… Je propose d’en aborder quelques uns avant de proposer quelques configurations.
#Paramètres de l’optique
##Grossissement/Grandissement
Ce dernier est définit de la façon suivante. Si l’on compare l’aspect de la cible selon qu’on la regarde à l’oeil nu ou à travers le système optique, on se trouve dans la situation typique du schéma ci-dessous (formation d’une image d’un objet à l’infini à travers un système afocal, voir également l’ article L’optique du Pr. Lorgnon) :
C’est-à-dire que l’oeil va voir
- soit l’image en directe selon un angle $\theta$
- soit l’image produite par l’appareil selon un angle $\theta’$
On définit alors le grossissement comme étant le rapport :
$$ G \equiv \frac{\theta}{\theta^{’}} $$
Le grandissement transversal est quant à lui défini par le rapport entre la taille de l’objet AB et la taille de son image A’B’ à travers le système optique.
$$ \gamma \equiv \frac{A^{’}B^{’}}{AB} $$
Il y a une relation simple dans le cas des systèmes afocaux telles que paires de jumelles et longues vue, entre les deux paramètres à savoir :
$$ \gamma = 1/G $$
C’est pour cette raison qu’un seul chiffre apparait sur les paires de jumelles et longues vue.
Exemple : prenons une paire de jumelles de grossissement G = 10, le grandissement transversal est de 1/10, donc un blason placé à OA = 50 m, est vu comme si il était placé à OA’ = 5m (cf. OA’ = OA / G ).
Dans un premier temps on est donc tenté d’avoir le plus grand grossissement possible, or on va voir que son influence dépasse la stricte taille des images.
##Le diamètre de l’objectif
Le diamètre D de l’objectif est exprimé en mm et apparait associé au grossissement, on parle de jumelles 10x50 par exemple (figure ci-dessous) : ce qui signifie que le grossissement est de 10 et que le diamètre d’entrée est de 50mm. On sent bien que plus le diamètre d’entrée est grand plus il y a de lumière qui rentre, mais primo ce n’est pas si simple, et secundo plus les lentilles sont grandes plus elles sont lourdes, encombrantes et doivent être de bonne qualité optique pour limiter les aberrations (ou défauts).
Si en regardant par l’objectif on remarque quelque chose qui empiète sur le chemin optique, alors il s’agit des prismes et c’est pas bon car cela traduit un montage douteux !
##Champ de vue (Field Of View en anglais)
Sur l’image du paragraphe précédent est indiqué « 341 ft AT 1000 yards ». Bon, les anglais ont encore tiré les premiers ! En système métrique on aurait eu « 114 m à 1000 m » [1]. On aurait pu également avoir une indication angulaire puisqu’il s’agit de la taille angulaire (ou rapport des longueurs) de l’image visible. La conversion est simple puisque 1° correspond à 17.4 m à 1000 m. On obtient donc la correspondance :
Ceci dit cette donnée fournit par le constructeur n’est pas le champ de vision vu par l’utilisateur (dit « champ apparent »). Pour calculer ce dernier le grossissement intervient comme suit :
$$ \mathrm{Champ App.} = \mathrm{Champ Const.} \times G $$
Le champ apparent est une valeur comparable d’une paire de jumelles à l’autre. Attention : il ne faut pas déduire de la formule précédente que plus le grossissement est élevé plus l’on voit une image large (c’est tout le contraire !).
Dans l’exemple de la paire de jumelles précédemment citée, le champ apparent est de 6.3° x 10 = 63°. Des champs apparents de cette valeur ou même plus important sont dits à optique « Grand champ » (« Wide angle » en anglais comme dans l’exemple). Ceci permet à grossissement égale d’observer une image de largeur plus grande qu’une paire de jumelles courante. Ceci dit, pour pleinement bénéficier de cette possibilité il faut s’assurer qu’il n’y a pas de défauts sur le bord du champ donc utiliser des optiques de bonne qualité (nb. pas de problème pour les jumelles de l’exemple…).
#La pupille de sortie, indice de luminosité/crépusculaire
La pupille de sortie est la taille du « trou » par lequel les rayons lumineux sortent coté oculaire. On la calcule simplement par la formule
$$ Pupille_{s} = \frac{D [mm]}{G} $$
Par exemple une paire de jumelles 10x42 a une pupille de 42mm/10 = 4,2mm. Pour se convaincre que ce « trou » dépend bien du grossissement, ci-dessous est présenté un exemple avec une longue vue de grossissement variable : vue de la pupille dans les conditions 20x60 donnant une pupille de 3mm (à gauche) et 60x60 donnant une pupille de 1mm (à droite).
Si la pupille de sortie n’a pas des bords francs, et n’est pas ronde, alors cela permet de se convaincre que l’on a une paire de jumelles médiocre entre les mains !
Connaître la taille de la pupille permet également primo de la comparer à la taille de notre pupille oculaire, et secundo de calculer l’indice de luminosité et l’indice crépusculaire.
Concernant, la pupille oculaire elle varie en taille selon l’éclairage : 3mm en vision diurne donc à prendre en compte en extérieur sur un terrain dégagé, 5mm à 7mm en vision crépusculaire donc à prendre en compte en extérieur en sous-bois par exemple et en éclairage intérieur. Notons que les vétérans dilateront moins leur pupille que les plus jeunes…
Si la pupille de sortie est plus grande que la pupille oculaire, cette dernière agit comme un diaphragme (exemple : en sous bois avec une paire de jumelles de trop fort grossissement). Dans le cas inverse, où la pupille oculaire est plus grande, alors la pupille de sortie ne transmet pas suffisamment de lumière et donc l’image paraît sombre. L’idéal est d’accorder au mieux la paire de jumelles/longue vue de telle façon que les deux pupilles (sortie et oculaire) soient quasi-identiques. Cela va dépendre de chacun et des conditions extérieures de luminosité.
L’indice de luminosité est donné par la formule :
$$ I_{lum} = Pupille_{s}^2 = \left(\frac{D [mm]}{G} \right)^2 $$
A un facteur $\pi/4$ près, l’indice de luminosité n’est autre que la surface du « trou » de sortie. Plus l’indice de luminosité est grand (et donc la surface de sortie est grande) plus la quantité de lumière est élevée et la paire de jumelle (la longue vue) est dite « lumineuse ».
Remarque : un indice « commercial » est souvent donné : l’indice crépusculaire ou la luminosité relative ou encore puissance nocturne. Il est le résultat de l’opération
$$ I_{crep} = \sqrt{G \times D [mm]} $$
Ainsi une 8x42 a un indice crépusculaire de 18.2 alors qu’une 10x42 a un indice de 20.5. Plus l’indice est petit plus le système optique est lumineux. Ce n’est pas un très bon indice car une simple différence de 1 unité sépare une jumelle 10x50 (22.4) d’une jumelle de 8x56 (21.2) alors que leur indice de luminosité varie de 49 à 25 respectivement.
On tempère donc l’envie de vouloir grossir outre mesure un objet car certes il parait de plus de plus en plus gros mais il est de moins en moins lumineux puisque la pupille de sortie se rétrécit !!!
##Autres critères
Il faut remarquer que la « luminosité » d’un instrument est non seulement donnée par l’indice de luminosité précédemment mais elle est surtout fonction de la qualité des lentilles/prismes, du montage, des traitements multicouches qui améliorent le rendu des couleurs, diminue les aberrations… Attention donc aux différences entre haut et bas de gamme…
- Jumelles droite ou coudée : Les jumelles apparaissent sous deux forment : les « coudées » ou bien les « droites », selon que l’objectif et l’oculaire ne sont pas ou sont en face l’un de l’autre. Cela tient à la disposition respective des prismes internes qui sont présent pour redresser l’image (sinon galère pour faire les réglages du viseur…). On parle dans le jargon de prismes de Porro [2] pour les premières et en toit pour les secondes dont le montage est plus délicat.
Le réglage des prismes en toit (donc jumelles droites) est interne, il n’y a pas de déplacement d’une pièce externe comme l’oculaire pour mettre au point. - Traitements de surface : Un verre non traité transmet au mieux 80% de la lumière, le reste est réfléchi par les nombreuses surfaces optiques traversées. Les traitements de surface des éléments d’optique sont là pour réduire les défauts de dispersion de lumière, les reflets… Le traitement consiste à déposer des couches sub-micrométrique de matériaux tels que SiO2, MgF2…
On distingue : les optiques simplement traitées (« single coated » ) avec une seule couche sur une surface, les optiques traitées toutes surfaces (« fully coated » ) avec une seule couche sur l’ensemble des surfaces ; les optiques traitées multicouches (« multicoated » ) avec une surface traitée multicouches les autres soit traitées simplement ou non ( !) ; enfin les optiques traitées multicouches toutes surfaces (« fully multicoated ») où toutes les surfaces sont traitées en multicouches, le nec plus ultra.
On peut se rendre compte de la qualité du caoting en regardant le reflet d’une surafce optique : bleu-ambre = single caoted, vert-pourpre = multi coated (voir figure ci-dessous). Cela vaut (bien) également pour nos lunettes à verres progressifs…
Il existe également un traitement de phase (fasecoating) qui est une forme particulière de revêtement. Dans les jumelles à prismes en toit, une partie de la lumière sort du prisme décalée et polarisée. Ceci est dû à la construction optique du prisme et se fait aux dépends d’une partie de la lumière, donc de la netteté. Une chose à éviter. Le traitement en phase du prisme en toit résout ce problème.
- Type de verre : nous avons dit qu’un verre standard ne transmet que 80% de la lumière. Si par contre l’optique utilise un verre BK-7(borosilicate) ou BAK4 (sulfate de baryum) (SCHOTT) alors il s’agit de verre haut de gamme qui laisse passer respectivement 90% à 95% de lumière…
- Protection : les jumelles et longue vue étant des objets fragiles mieux vaut des versions gainées de caoutchouc et si l’on peut avoir les protections des lentilles attenantes c’est un plus.
- Etanchéité : ce point peut être judicieux pour les parcours mais un FITA sous pluie battante on connait. Attention aux dénominations commerciales alléchantes, mieux vaut s’assurer que l’instrument est soit rempli à l’azote soit peut supporter sans dommage une immersion pendant un certain temps. Les modèles en toit permettent de réalisé un montage étanche plus facile en principe, mais certains fabriquants de grande marque garantissent également des modèles « Water proof » en version coudée à l’aide de joins toriques. D’autres part afin d’éviter la condensation (buée) sur les lentilles et autres prismes, ces modèles sont remplis d’un gaz inerte tel que l’azote. Donc on privilégie ces modèles pour les disciplines d’extérieur.
- Mise au point : la façon dont la mise au point s’effectue sur certaine longues vue peut avoir des conséquences. Après quelque déboire, je prohibe les systèmes montés sur l’oculaire pour privilégier le système agissant sur l’optique interne comme sur la photo ci-dessous :
Il y a un aspect également que j’apprécie dans le modèle ci-dessus de la marque Eden, c’est que l’on peut l’orienter à l’horizontal grâce à la bague de serrage comme suit afin de la mettre quasiment à hauteur de l’œil en tournant la tête, ainsi pas besoin de se pencher pour regarder son score et donc moins de fatigue pour le dos...
- Dégagement oculaire : pour ceux qui portent des lunettes, il faut privilégier des modèles pour lesquels l’œilleton permet d’être soit déplié pour voir avec l’œil sans lunettes, ou bien replié pour pouvoir utiliser ses lunettes. Les optiques permettant cela ont un dégagement angulaire de l’ordre de 15mm.
- Poids : ce critère sera pertinent pour les paires de jumelles que l’on peut se trimbaler toute une journée. Pierre-Julien Deloche préconise de ne pas dépasser 600g. Ceci dit c’est comme pour les ordinateurs portables : plus ils sont légers plus le prix s’en ressent…
#Choix
Bon, après avoir passer en revue un certain nombre des critères définissant les propriétés des longues vues et paires de jumelles, vient le moment fatidique du choix ! Ce que je vais dire n’engage que moi et je n’ai ni d’autorité particulière ni d’ailleurs de sponsors qui tenteraient de vous influencer.
Je pencherai pour :
- un usage de la longue vue uniquement pour des tirs au-delà de 50m de type cible anglaise à 70m et 90m. L’usage d’une optique 20-60 x 60 permet un grossissement variable appréciable et même si la pupille de sortie est réduite au grossissement maximum, il y a suffisamment de lumière dans les conditions d’utilisation pour ne pas être affecté par une réduction de luminosité, surtout si l’optique est en BK 7 et traité multi. Le champ de vue de 2° (typique) convient parfaitement, cela donne 38m à 1000m en 20x et 17m à 1000m en 60x. Il n’y a pas besoin de « grand champ » car on ne suit pas un oiseau en vol !!! Je privilégierais par contre un modèle dont la mise au point ne se fait pas sur l’oculaire, étanche à la pluie, de coque en caoutchouc anti-choc et avec un capuchon pare-soleil. Bien entendu, il faut utiliser un pieds, et je préfère un pieds assez lourd stable qui résiste au vent (même s’il est bon d’utiliser une sardine…).
- Pour les parcours 3D, Nature, Campagne ont a besoin d’une paire de jumelles de poids le plus faible possible (cf. 600g) de grande luminosité donc des diamètres d’entrée de 40-50mm par exemple et d’une optique traitée si possible multicouche avec des verres en BK 7 voire BAK4. Pour le grossissement un 10x permet de bien voir les détails des bêtes mais en pratique au delà de 8.5 pose des problèmes de stabilité de l’image et la recherche de la bête (la luminosité est plus le coté qualité de l’optique et moins sur le grossissement). Un grossissement plus fort peut être balancé par une optique grand champ peut être utile sans doute pour 1) ne pas perdre de temps à situer la cible cachée ou dans la pénombre et 2) d’apprécier des éléments annexes permettant de calculer la distance. La coque en caoutchouc avec protection des optiques me semble indispensable. Une étanchéité à l’eau et condensation est sans doute indispensable étant donné les conditions d’humidité changeante en extérieure. Les porteurs de lunettes doivent prendre gare au dégagement oculaire.
- Le tir sur cibles anglaises à des distances jusqu’à 50m ne justifie pas l’usage de longue vue. On peut tout à fait utiliser une paire de jumelles comme celle décrite pour les parcours. On peut se dire même que l’aspect « grand champ » n’est pas indispensable puisque un FOV de 2° donne 1.74m à 50m ce qui est suffisant pour les cibles FITA 50m sur blason de 80cm.
- Le tir en salle nécessite une paire de jumelle lumineuse donc 45-50mm d’objectif ainsi que des optiques traitées, mais je pense qu’un grossissement de 8 peut suffire. La pupille se dilate au maxi et si on prend on prend une valeur de 6mm alors 6x8 = 48mm, donc l’adéquation entre taille de l’objectif et la pupille est parfaite. Maintenant, les aspects d’étanchéité et robustesse peuvent être relâchés.
Pour finir, encore une fois, rien ne vaut primo d’essayer in situ une paire de jumelles et/ou longue vue d’un collègue archer, secundo une fois ses besoins définis (on peut se dire que l’instrument peut servir dans d’autres circonstances également) d’aller voir dans un magasin spécialisé les instruments que l’on désir acquérir et étudier les détails de la fabrication.
#Quelques exemples Jumelles type 10x42 avec prisme en toit
Voici un exemple de recherche sur des jumelles. Si les caractéristiques globales sont similaires, la différence de prix est très nette (bien qu’ils sont donnés à titre indicatif) ! Cela tient aux fameux traitements de surface et qualité de montage mais on paye également la marque alors attention !... Prenez le temps de choisir.